La fondation britannique Quilliam qui lutte contre l’extrémisme, dresse l’état de la condition des femmes dans le califat à partir d’un document de propagande traduit en anglais sous le titre : « Women of the Islamic State ». On y apprend qu’il est « légitime » pour une fille de se marier à neuf ans, que « la femme a été créée pour peupler la terre », qu’elle doit « rester à la maison » avec son mari et ses enfants, qu’« il est toujours préférable pour une femme de rester cachée et voilée, de maintenir la société derrière ce voile ».

Si tout le monde comprend aujourd’hui que les horreurs infligées aux femmes par le groupe État islamique participent non seulement de sa haine pour la gent féminine mais également de sa stratégie d’institutionnalisation de la violence, on peut cependant être heurté par la justification théologique qui les sous-tend. Le travail de contextualisation qui incombe à l’historien permet de rétablir tant soit peu les choses par rapport à la place de la femme dans le Coran. On sait combien cette entreprise est délicate. Il s’agit simplement de montrer comment le mouvement islamiste, par la revendication d’une pratique musulmane originelle, est à mille lieues de la compréhension contextuelle du Coran.

La femme dans le Coran

À l’instar de bon nombre de religions, l’islam proclame la primauté de l’homme sur la femme. C’est dans la sourate 4 intitulée An-Nisa (la femme), au verset 34, que nous en avons l’élaboration la plus explicite :

« Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs biens… »

Cette affirmation susceptible de scandaliser la plupart de nos contemporains ne l’était d’aucune manière au VIIe siècle lors de l’élaboration du texte coranique. Aucun système civique ou religieux de la péninsule arabique et au-delà, l’Europe y comprise, ne reconnaissait à cette époque-là l’égalité sociale et civique des hommes et des femmes.

En lisant le Coran avec l’œil d’une personne du Moyen Âge, on y relève des passages qui montrent que l’islam, au moment de sa fondation, a accordé aux femmes des droits singuliers afin de les protéger.

Il est de vigueur dans le droit islamique que la femme n’a droit qu’à la moitié de la part d’un homme du même rang successoral. L’affirmation qui sous-tend cet état de fait provient de la sourate 4 aux versets 11 et 12 :

« Voici ce qu’Allah vous enjoint au sujet de vos enfants : au fils, une part équivalente à celle de deux filles. S’il n’y a que des filles, même plus de deux, à elles alors deux tiers de ce que le défunt laisse. Et s’il n’y en a qu’une, à elle alors la moitié… »

Ce qu’il est utile de souligner est que ce droit à la demi-part constitue pour l’époque un progrès considérable. Dans le milieu de naissance de l’islam à cette époque-là, les femmes étaient écartées des parts relatives à l’héritage. Cette sourate tend à montrer que le problème d’héritage s’est posé de manière cruciale aux contemporains du prophète au point qu’il a fallu prescrire à l’aide du coran une attitude à tenir pour éviter les conflits relatifs au droit successoral. Il semble également que c’est dans le cadre de l’intérêt accordé au sort de la femme, qui, jusqu’ici, était défavorisée en matière d’héritage qu’il faut inscrire ce passage.

On peut adjoindre à cela la question de la protection des veuves et des orphelines. Toujours la même sourate 4 affirme au verset 23 :

« Vous sont interdites vos mères, filles, sœurs, tantes paternelles et tantes maternelles, filles d’un frère et filles d’une sœur, mères qui vous ont allaités, sœurs de lait, mères de vos femmes, belles-filles sous votre tutelle et issues des femmes avec qui vous avez consommé le mariage… »

Ce passage résonne comme la prohibition du mariage ou des actes sexuels entre personnes parentes non seulement en ligne directe et en ligne collatérale, mais également lorsqu’il y a un lien de parenté par alliance. On peut voir dans cette prescription des dispositions visant à encourager l’exogamie. Cependant, en s’adressant uniquement aux hommes, elle pointe surtout du doigt des abus relatifs à la tradition répandue dans les civilisations méditerranéennes obligeant un homme déjà marié à reprendre en mariage une femme divorcée, veuve ou orpheline dès lors qu’il entretient un lien de parenté avec elle.

Dans la même ligne, une autre tradition que le Coran semble fustiger est l’infanticide féminin. Pour des raisons économiques et sociales, la naissance d’un enfant mâle était bien plus désirée que celle d’une fille au Moyen Âge dans la péninsule arabique. Cette situation semble avoir conduit à des exactions dénoncées par la sourate 16, An-Nahl (les abeilles), aux versets 58 et 59 :

« Et lorsqu’on annonce à l’un d’eux une fille, son visage s’assombrit et une rage profonde l’envahit. Il se cache des gens, à cause du malheur qu’on lui a annoncé. Doit-il la garder malgré la honte ou l’enfouira-t-il dans la terre ? Combien est mauvais leur jugement ! »

Le statut contextuel du texte sacré

L’histoire de l’élaboration du contenu du Coran invite à considérer que le texte, malgré le caractère sacré qu’on peut lui concéder, continue d’être le texte d’un contexte.

On distingue deux moments dans les révélations du Coran : le premier ayant eu lieu à la Mecque et le second à Médine. Les sourates mecqouises, remontant aux douze premières années des révélations (610-622), développent un contenu théologique axé sur les notions d’unicité de Dieu, de résurrection, de jugement dernier. Avec l’installation à Médine, les versets prennent une orientation politique et législative qu’il ne faut pas considérer comme une rupture avec la période précédente mais plutôt comme une nouvelle étape.

Ne peut-on pas considérer que les textes législatifs – dont sont issues les sourates concernant la femme – s’adressent avant tout à des hommes et femmes du haut Moyen Âge dans un contexte socioreligieux précis ? Notons que ces textes vont prendre une dimension nomocratique (de nomos, loi, et de kratos, force) après la mort du prophète Muhammad où leur caractère de lois, fixées une fois pour toutes, et ayant une autorité suprême sera établi. La plupart des historiens et des islamologues s’accordent pour dire que c’est l’élaboration du droit musulman l’ijtihâd au XIIe siècle qui rend difficile l’évolution du texte coranique.

Il est paradoxal que Daech, comme les autres mouvements fondamentalistes islamistes, bien que réclamant le retour aux origines, aux premiers temps de la religion, ne remonte guère au temps du prophète Mahomet et au contexte de naissance de l’islam, mais s’arrêtent à mi-chemin. Ils développent ainsi une allergie au travail de contextualisation au nom de la sacralité du texte.

Et pourtant, en dehors des arguments qui proclament l’immuabilité du texte, il n’y a pas de fondements théologiques majeurs qui empêcheraient l’évolution des aspects sociaux de l’islam. Le concept d’inimitabilité du Coran qui a son fondement dans plusieurs sourates, dont principalement la sourate 52, al-Ṭūr, verset 34, concept auquel on accorde d’ailleurs plusieurs acceptions, est trop souvent confondu à l’immuabilité. Inimitabilité ne veut pas dire immuabilité.

Le cas de la condition féminine laisse à penser que le problème est peut-être ailleurs. L’enjeu d’une lecture littérale et souvent dévoyée du Coran est de taille pour les tenants du fondamentalisme. Le maintien de la femme dans une situation d’infériorité sert les intérêts de ces hommes en quête perpétuelle d’autorité et de domination. Malheureusement, Daech n’est pas le seul dans ce cas.